Pourquoi nous ne signerons pas les revendications du mouvement pour le droit à la ville

Nous rappelons qu’Outrage Collectif  est un collectif antiraciste qui privilégie l’auto-organisation des personnes racisées. Cette auto-organisation n’a nul autre but que de nous permettre de décider collectivement – entre personnes subissant directement les effets du racisme – de nos objectifs, de nos priorités et de notre agenda. Dans ce sens, nous insistons sur le besoin de créer une base politique commune par nous et pour nous. Il est temps que nous ayons nos propres discours et que ceux-ci ne se perdent pas dans des stratégies qui ne servent principalement que celles et ceux qui bénéficient déjà de divers avantages et accès dans la société pendant que certain.e.x.s d’entre nous stagnent dans des conditions indignes.

Il nous semble important de partager les raisons pour lesquelles nous ne signerons pas les revendications du « Droit à la Ville », mais aussi d’exprimer pourquoi certain.e.x.s d’entre nous viendront marcher. L’appel au boycott n’est pas notre objectif, car bien sûr nous savons reconnaître un mouvement qui mérite d’exister.
Ce mouvement a notamment réussi à mobiliser une partie de la population genevoise sur des problématiques importantes telles que l’accès au logement et a permis d’alimenter des réflexions intéressantes autour, par exemple, du rejet de la ville en tant qu’espace exclusivement marchand ou de l’utilisation de l’espace publique.

Cependant, le mouvement pour le droit à la ville devrait être anti-raciste et il ne l’est pas. Il est composé d’une majorité de signataires et militant.e.x.s blanc.he.x.s et se développe autour des luttes de personnes privilégiées, dont certain.e.x.s que nous avons par ailleurs dénoncé.e.x.s pour leurs pratiques racistes, en tant que collectif et/ou individu. Il va donc de soi que nous ne signerons pas aux cotés de celles et de ceux qui reproduisent le racisme systémique au sein de leur milieu social, de leur parti, de leur organisation, de leur collectif ou de leur maison.
Ces pratiques, qui ne font malheureusement pas figure d’exception dans l’ensemble du mouvement, ne peuvent donc que se refléter dans la façon de militer, de prendre des décisions, de donner l’accès à la prise de décision plutôt à certain.e.x.s qu’à d’autres, ou alors selon des modalités différentes. Elles impliquent que les personnes racisées aient les ressources nécessaires pour s’en protéger. Pendant qu’une tendance générale laisse à penser que l’anti-racisme va de soi chez nos camarades blan.c.he.x.s, l’expérience nous apprend qu’il ne repose au final que sur les épaules des personnes racisées. Ce constat est l’un des fondements même de notre collectif.

L’un de nos objectifs est de porter et valoriser un discours anti-raciste au sein des forces militantes de notre région afin de créer les conditions adéquates pour l’intersectionalité dans nos luttes. Et pour ce faire nous ne ferons aucune concession.
Nous voulons que les mouvements à majorité blanche et de classe moyenne/supérieure se questionnent sur leur manière d’occuper les espaces politiques, de les monopoliser et finalement de les gentrifier.

Dans ce cadre et uniquement sous le prisme de l’accès à la ville et au logement, les revendications proposées nous paraissent peu abouties en termes de classe, de race, de validisme et de genre. Elles ne collent pas à notre vision d’une lutte pour le droit à la ville des personnes racisées, par conséquent non plus à un droit à la ville pour tou.te.x.s. En l’état, nous n’y trouvons pas notre compte.

Nous ne nions pas le besoin et l’importance de cette lutte… mais elle semble parfois ne pas nous concerner.
Nul.le.x.s ne peux ignorer le climat raciste ambiant à Genève. Des raids organisés à la brutalité de la police envers les personnes racisées et particulièrement des noir.e.s, en passant par la discrimination à l’embauche, à l’activité économique, au logement ou encore de l’accès aux espaces de fêtes et de loisirs, tout ceci provoque une réelle discrimination spaciale.
Des questions vitales, voire mortelles pour certain.e.x.s membres de notre collectif, sont reléguées au second plan de ces revendications. Nous peinons à saisir ce choix de minimiser les problématiques des contrôles au faciès, du harcèlement policier et administratif, des conséquences terribles du contrôle et de la fermeture des frontières, de la violence quotidienne subie par les migrant.e.x.s, alors même que les pratiques de la police maltraitent et tuent des personnes racisées.
De plus, comme dit précédemment, certain.e.x.s signataires sont pour nous de véritables ennemis politiques dans une perspective anti-raciste révolutionnaire.

Voilà quelques raisons pour lesquelles nous ne signons pas ces revendications en tant que collectif. Nous nous sentons proche de cette lutte qui nous touche tou.te.s.x et à laquelle participent entre autres des personnes en exil, car nous aussi voulons le droit à la ville, nous aussi prenons la ville

Nous refusons néanmoins de faire office de caution antiraciste pour un mouvement qui, s’il n’est pas raciste, n’est pas non plus l’inverse. Mais c’est parce que nous sommes solidaires des gen.te.x.s qui luttent que certain.e.x.s d’entre nous marcheront le 17 mars 2018 et continuerons à travailler ces liens indispensables aux devenirs révolutionnaires.

 

Nous ne serons pas vos allié.e.x.s mais vous pouvez être les nôtres !

 

 

P.-S.
1 : Lorsque nous évoquons la notion d’antiracisme nous nous détachons d’une posture d’antiracisme moral (pour plus de précisions sur celle-ci : cf. https://outragecollectif.noblogs.org/lexique/)
2 : Pour un rappel des revendications du mouvement ’Droit à la Ville’ : https://renverse.co/Un-front-large-pour-les-luttes-urbaines-ouloulou-1393

English version:

Why we won’t sign the demands of the movement for the right to the city

As a reminder, « Outrage Collectif » is an anti-racist collective that favors self-organization for people of color, with the aim of deciding collectively – between people who directly suffer the consequences of racism – our goals, our priorities and our agenda. In this context, we insist on the need to create a common political base by us and for us. It is time that we develop our own discourses so that they are not lost in strategies which mainly help those who already benefit from diverse advantages in society while some of us stagnate in undignified conditions.

It seems important to us to share the reasons why we won’t sign the demands of the « right to the city » (Droit à la Ville), but also to express why some of us will still come to the march. Our goal isn’t a call for boycott as we surely can recognize a movement that deserves to exist. In particular, this movement has succeeded to mobilize a part of Geneva’s population around important issues such as access to housing and has fueled interesting reflections around, for example, the rejection of the city as an exclusively mercantile space or the use of public space.

However, the movement for the right to city movement should be anti-racist and it is not. It is endorsed by a majority of white signatories and activists and has developed around the struggles of privileged people, including people that we have called out for racist practices, as a collective and/or an individual. It goes without saying that we will not be signing alongside those who reproduce systemic racism in their social environment, their party, their organization, their collective or their home.
These practices, which are unfortunately not an exception in the movement as a whole, are inevitably reflected the way people organize and make decisions, by giving access to decision-making to certain groups of people and not to others, or in different ways. This implies that people of color have the resources to protect themselves when organizing in the movement. While a general trend suggests that anti-racism goes without saying for our white comrades, experience tells us that it ultimately rests on the shoulders of people of color. This observation is one of the foundations of our collective.

One of our goals is to carry and promote an anti-racist discourse within the local activist forces in order to create the right conditions for intersectionality in our struggles. We will make no compromise to achieve this.
We want for the mostly white and middle/upper-class movements to question how they take space, monopolize and ultimately gentrify the political landscape.

In this context, and solely under the prism of access to the city and housing, we believe the proposed demands lack reflection in terms of class, race, validity and gender. They do not fit with our vision of the struggle for the right to the city for people of color, and therefore for the right to the city for all. In their current shape, we cannot be satisfied.

We do not deny the need and the importance of this struggle … but it sometimes seems that it doesn’t concern us.
No one can ignore the prevailing racist climate in Geneva. From organized raids to the police brutality targeting people of color and particularly black people, to discrimination in hiring, access to economic activity, housing or recreative and festive spaces, there is a real spatial discrimination.
Issues that are fundamental, sometimes even deadly for some members of our collective, are relegated to the background of these demands. We struggle to understand this choice of minimizing racial profiling, police and administrative harassment, the terrible consequences of control and closure of borders, the daily violence experienced by migrants, even when police brutalize and kill people of color.
Moreover, as mentioned above, some of the signatories are, for us, real political enemies in a revolutionary anti-racist perspective.

These are some of the reasons why we are not signing these demands as a collective. This struggle is also ours, we also demand the right to the city, and we also take the city.
However, we refuse to be an antiracist token for a movement that, if not racist, is not the opposite either. Because we stand in solidarity with those who are fighting and the people in exile that participate in this movement, some of us will march on March 17, 2018, and will continue to work on developing the fundamental connections for a revolutionary future for all.

We will not be your allies, but you can be ours!

P.-S.
1 : when we talk about anti-racism we distance ourselves from a moral anti-racism  (for more precise information on this topic: https://outragecollectif.noblogs.org/lexique/)
2 : The right to the city movement’s demands: https://renverse.co/Un-front-large-pour-les-luttes-urbaines-ouloulou-1393