Emancipateur et contestataire, Outrage Collectif s’est rendu au CED

Nous sommes un collectif en non-mixité de personnes racisé.e.s basé en Suisse. Nous portons un regard critique sur la société selon une approche anticapitaliste sous les prismes de classe, de race et de genre. Nous nous sommes constitué.e.s officiellement en collectif suite à notre participation au Camp d’Eté Décolonial 2017 (CED).

Le CED est une formation à l’antiracisme politique et un espace de rencontre et de transmission destiné exclusivement aux personnes à la racialisation négative (ou dit plus couramment racisé.e.x.s ou non-blanc.he.x.s). Dans le contexte post-colonial, les personnes à la racialisation négative sont maintenues dans des positions sociales et économiques désavantagées selon des signes distinctifs établis socialement (couleur de peau, nom de famille, etc.). À l’inverse certaines catégories de personnes tirent des bénéfices de ce système, soit les personnes qui ont une racialisation positive (ou dit couramment les blanc.he.s). Cette catégorie dominante n’avait pas accès au camp.

« À cause des préjugés, penses à tout ce que t’as raté / 
Malgré tes diplômes, personne ne t’a jamais rappelé
 / J’ai du me faire seul tout, suivre mon mektoub 
 / Pour avoir les mêmes chances que les autres j’ai dû faire le double »

Lorsque nous parlons d’antiracisme politique, il est important de le distancier de l’antiracisme moral, institutionnalisé. L’antiracisme moral ne « combat » que les interactions racistes entre individus (insultes, préjugés, stéréotypes…). A l’opposé, l’antiracisme politique lutte contre le racisme institutionnel, qui précarise les racisé.e.s à travers les différents organes de L’État (police, justice, accès à l’éducation, accès au travail, accès à l’espace public…). Cependant, il ne fait pas l’économie de la résistance aux micro-agressions racistes, qui ne sont pas comprises comme des actes isolés, mais s’intègrent dans un continuum de violences. Les agressions racistes ont des conséquences concrètes sur les vies des individus, et il ne faut pas perdre de vue qu’elles découlent d’un système raciste. En d’autre mots, l’antiracisme moral ne sert qu’à panser sans traiter, sans compter qu’il est instrumentalisé par la suprématie blanche pour décrédibiliser et dépolitiser l’antiracisme politique.

Le CED porte les revendications d’un antiracisme politique qui tend à se réapproprier l’Histoire et dénoncer celle narrée à l’avantage des occidentaux qui nous invisibilise. Un antiracisme qui s’intéresse réellement « aux effets de productions raciales par le colonialisme européen » , et qui affirme que nos vécus sont politiques. Cet angle d’analyse décolonial veut mettre en lumière la dimension structurelle du racisme.

Si les personnes racisées sont discriminées, elles le sont à l’avantage de quelqu’un d’autre, c’est-à-dire les personnes racialisées positivement: les blanc.he.x.s. C’est ce qu’on nomme le privilège blanc. Le privilège blanc est largement étendu : du privé au public, de l’interpersonnel à l’institutionnel. Il est d’autant plus sournois qu’il n’est pour la plupart du temps pas conscientisé par les personnes en bénéficiant. Que ce soit volontaire ou non, consciemment ou non, les personnes blanches tirent avantage et profitent tout au long de leur vie du système raciste.

Ces avantages peuvent avoir diverses formes : ne pas se faire insulter par rapport à sa race ; avoir son dossier accepté lorsqu’on postule pour un appartement, et si ce n’est pas le cas, ne pas se demander si c’est dût à sa race ; ne pas craindre qu’à l’école son enfant soit mis à l’écart dans son apprentissage ou par ses camardes ; rarement se faire contrôler aux frontières, à la sortie des magasins ou devant chez soi ; si l’on se fait aléatoirement contrôler, ne pas se demander si c’est dût à sa race ; ne pas risquer une agression ou la mort à chacun de ces contrôles ; écoper de peines plus légères que des racisé.e.x.s face à la justice ; avoir la priorité à l’embauche ; etc.

« … je me suis rappelé que la liberté n’est jamais gratuite. Il faut lutter pour l’obtenir. Travailler pour l’obtenir et s’assurer qu’on est capable d’en faire usage. »

Le Camp d’Été Décolonial a donc proposé un programme large sous forme de conférences, d’ateliers, et d’espaces libres pour permettre des propositions de discussion en autogestion.

Les thèmes qui ont été abordés étaient le racisme d’État, le colonialisme, l’islamophobie, la situation des colonies départementalisées, le racisme ordinaire et réponse aux micro-agressions, les violences policières, la notion d’allié.e.x.s blanc , les luttes liées à l’immigration et aux quartiers populaires, le féminisme décolonial, les discriminations à l’école et au travail, etc. Le CED a en somme donné des opportunités de partage de savoirs académiques et populaires.

A travers ces thèmes nous avons pu chacun.e à notre manière trouver des outils pour agir et nous organiser. Ces différents moyens d’action nous permettent de survivre et de nous défendre contre, d’une part le racisme ordinaire, et d’autre part le racisme d’État. Ce type d’opportunité à s’auto-organiser nous renforce, nous donne des pouvoirs et des perspectives d’action et de lutte, en tant que rescapé.e.x.s.

Nous nous saisissons de ces outils car d’autres se sont battu.e.x.s avant nous. Mais malgré tout, notre place reste en sursis. En sursis, car les gens continuent à se sentir légitime d’être racistes. Ceci est dut à l’État lui-même qui détient le discours dominant et nourrit ces idéologies. En créant ce discours, il met à disposition les corps des racisés à maltraiter en toute légitimité. Par exemple, plusieurs fois en France, des dizaines de citoyens lambda ont pris l’initiative d’évacuer un camp de Rrom, munis d’armes. De telles agressions n’auraient pas étés possibles dans une société ou le racisme ne serait ni un mécanisme de domination structurel ni légitimé par le pouvoir en place.

Le Camp d’Eté s’inscrit dans la tradition de luttes d’émancipations décoloniales, anti-impérialistes et d’éducation populaire. Son objectif est, comme le disent si bien les organisatrices Fania Noël et Sihame Assbague, «l’auto-définition, l’auto-détermination et l’auto-émancipation des personnes subissant le racisme d’État». Elles ont choisi dans ce sens, la non-mixité comme outil d’émancipation, d’empowerment et comme nécessité politique. Les participant.e.s ont eu ainsi la possibilité de se transmettre et se réapproprier l’Histoire, et chaque militant.e a pu s’affirmer comme l’héritier.ère de luttes passées et même en cours par leur présence ou par leur soutien.

« Don’t you fuck with my energy / Don’t you fuck with my energy /Don’t you fuck with my energy / Don’t you fuck with my energy… »

La non-mixité nous permet d’échanger sur une base commune qui n’est pas définie par des personnes participant au système d’oppression dominant et assimilateur, et laisse place à l’auto-organisation . Elle est un outil politique qui donne un cadre pour partager des méthodes et des savoirs autant théoriques que pratiques.

Nous estimons qu’il s’agit d’une nécessité dans un environnement politique où les partis de gauche, d’extrême gauche, les mouvements autonomes et autre groupes à prétention révolutionnaire monopolisent l’espace de la lutte antiraciste alors qu’ils sont majoritairement composé d’occidentaux.ales, de personnes racisées positivement, bref on les appellera comme on veut, des blanc.he.x.s. En fin de compte ils ne seront pas concerné.e.x.s par les violences racistes institutionnelles. Ils bénéficient donc non seulement du système d’Etat raciste, mais reproduisent également des mécanismes de domination (le paternalisme, le racisme ordinaire, le mépris, l’universalisme, le colourblindness , etc.). Finalement, autant de gauche qu’ielles puissent être, ou paraitre, cela ne suffit ni à défaire leurs privilèges ni à les empêcher d’instrumentaliser des luttes qui ne leur appartiennent pas.

« Rien que l’alliance des poètes afro-asiatiques/ Vois-tu ce noir, au fond de mes yeux/ 40 frères à mes côtés, et il parle pour eux/ Notre pouvoir et tel qu’il scie les barreaux de / Toute prison »

Suite à cette formation, nous nous renforçons dans l’idée de nous inscrire dans les luttes émancipatrices, politiques et contestataires. Nous voulons également étudier le rapport à la colonisation de la Suisse, qui y a participé activement, et dont la violence coloniale a encore des conséquences dramatiques sur les populations racisées. Notre passé colonial est volontairement méconnu, L’État en tire toujours profit et les groupes antiracistes légitimes sont invisibilisés.

Nous voulons imaginer de nouvelles perspectives de luttes en tant que collectif. Cependant nous ne nous contenterons pas de transposer les cadres d’analyses français à la Suisse, dont les enjeux et les problématiques de la race sont différentes. Toutefois la Suisse est, comme le reste de l’occident, un État nation qui prend racine dans le système raciste et colonial à qui elle doit son développement économique et culturel. L’entretien idéologique et matériel de la hiérarchisation de l’humanité existe au profit du capitalisme et donc du biff amassé dans les banques suisses.

Le CED a été une démarche de conscientisation et de transmission réussie. Face aux attaques de l’extérieur (plainte pénale, et menaces des fachos), nous avons créé un réel rapport de force. Les attaques faites au CED ont donc fait de l’événement un vrai mouvement de résistance. Espérons qu’il soit pris en exemple et que partout des groupes d’opprimé.e.x.s se retrouvent pour échanger, s’organiser et définir pour eux-mêmes leurs objectifs politiques et les moyens pour y parvenir sans se laisser décourager par les attaques réactionnaires. En tant que collectif, nous soutenons le Camp d’été décolonial et nous nous réjouissons de la prochaine édition.