Discours d’Outrage Collectif au 1er mai 2018

Lors des commémorations des luttes du 1er Mai les luttes syndicales et de la gauche sont trop souvent colorblind, ne thématisent que trop rarement le racisme dans les enjeux d’accès au travail. Le lien entre racisme structurel et précarité de l’emploi est souvent tu quand le processus polymorphe qu’est la racialisation arrange les autorités.

Dans le cadre de cette manifestation qui, par ses revendications, lutte contre la précarité dans le monde du travail, nous considérons que la visibilisation des travailleu.r.se.x.s non-déclaré.e.x.s car non-déclarables revêt une grande importance, car la lutte pour nos droits ne doit pas engendrer d’inégalités entre les personnes qui pourraient en bénéficier. C’est pourquoi, nous prenons aujourd’hui la parole afin de dénoncer les précarités plurielles et exacerbées auxquelles ces personnes sont soumises au quotidien.

Dans une démarche cynique comme l’est le modèle des 3 cercles, le Conseil Fédéral fixe des critères de recrutement de la main-d’œuvre étrangère fondés sur des considérations de géographie et de culture, de politique nationale et d’économie. Dans le cercle intérieur (ou 1er cercle : Etats de l’UE et de l’AELE), on vise à la libre circulation des personnes. Dans le cercle médian (ou 2ème cercle, comprenant actuellement les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, par la suite éventuellement aussi les Etats d’Europe centrale et d’Europe de l’Est), un nombre restreint de personnes étrangères peut être recruté. Dans le cercle extérieur (ou 3ème cercle : le “reste du monde”), il n’y a en principe pas de recrutement possible, sauf dans les cas exceptionnels de spécialistes hautement qualifiés.

De manière générale, ces lois racistes poussent les personnes qui ne font pas partie des 2 premiers cercles à trouver des stratégies de survie en dehors des cadres légaux. Et donc, d’accepter ou de s’engager dans des emploi précarisés et/ou non-déclarés, voire illégaux et même dangereux.

En général, quand l’État cherche à « lutter » contre le travail non déclaré, il se focalise sur le travail des personnes étrangères et les stigmatisent, alors qu’iels ne représentent que 69’000 travailleu.r.se.x.s sur une force de production estimée à l’équivalent d’un demi million de personnes travaillant à plein temps et correspondant à environ 8% de la richesse produite en Suisse par an.

Si le travail non-déclaré concerne toute la population résidente sur le territoire suisse, les lois visant à sanctionner les travailleu.r.se.x.s non-déclaré.e.x.s sont pour leur part ciblées à l’encontre des populations provenant du 3ème cercle, et donc en grande majorité des personnes racisées. Cela crée de fait une discrimination basée sur la race à l’accès au travail sur le territoire Suisse.

Ceci étant dit, il ne faudrait pas imaginer que le travail légal empêcherait la précarité dans l’emploi. Au contraire, peu importe la qualification d’origine, une fois les « bons papiers » obtenus, ces mêmes catégories de populations se retrouvent souvent à effectuer des travaux qui ont comme point commun leur pénibilité, la dévalorisation de leurs compétences, l’absence de droits, la pression morale et psychologique, l’usure physique et autres atteintes à la santé, l’exclusion des droits et privilèges sociaux et des espaces de décision, tout cela  pour un salaire indigne qui leur permet à peine de se loger, de se nourrir et de se soigner. Le capitalisme néocolonial d’Etat crée et maintient les conditions d’exploitation des personnes racisées en Suisse.

Les luttes antiracistes ne peuvent jamais être séparées des luttes antisexistes, et les revendications de la lutte contre la précarité au travail ne font pas exception. Si les personnes racisées subissent de fortes discriminations dans le monde du travail, les femmes racisées se retrouvent confrontées non seulement aux structures racistes, mais aussi sexistes de l’accès à l’emploi. Un exemple flagrant de cette transversalité des oppressions est la difficulté pour les femmes de confession musulmane portant le voile à accéder à des fonctions publiques.

De plus, selon l’OFS, 6 femmes sur 10 exercent une activité à temps partiel contre moins de 2 hommes sur 10. Le temps partiel signifie conditions d’emploi plus précaires, couverture sociale insuffisante (caisse de pension p.ex) obstacle à la formation continue, etc.

Enfin, les travaux de soins sont majoritairement accomplis par des femmes et le plus souvent par des femmes racisées (aide-soignantes, prise en charge des ainé.e.x.s, accompagnement des personnes en situation de handicap, etc.), travaux souvent sous-payés et peu valorisés, voir complètement invisibilisés lorsqu’ils ont lieux dans la sphère privée.

Nous souhaitons aujourd’hui soutenir les travailleu.r.se.x.s non-déclaré.e.x.s car non-déclarables et donc  précarisé.e.x.s, dont le travail n’est pas reconnu:

travailleureu.r.se.x.s du sexe,
les personnes qui font du deal
musicien.ne.x.s,
les personnes vivant de la mendicité,
employé.e.x.s de ménage,
garde d’enfant,
plongeu.r.se.x.s,
cuisini.er.ère.x.s
livreu.r.se.x.s
manutentionnaires
….
que iels soient dans la rue, dans nos restaus, dans le care ou ailleurs !

Outrage Collectif