Selon la décision qui a été prise durant la réunion de gestion de l’association ‘L’Usine’ de ce lundi, les dealers se verront interdire temporairement l’entrée au bâtiment.
Cette mesure a été adoptée sous prétexte qu’ils se réfugient « en masse » (selon leurs termes) dans le hall d’entrée lors des contrôles de police effectués sur la Place des Volontaires, qu’ils utilisent le lieu parfois sans consommer, et que des altercations avec des videurs auraient eu lieu (probablement directement liées aux raisons nommées ci-dessus).
Ainsi, par ces temps hivernaux, les personnes qui trainent sur la place et identifiées comme dealers – même si l’activité est difficile à prouver – resteront dehors. On peut dès lors se demander comment cette décision sera mise en pratique. Quels critères seront utilisés ? Vont-ils aller dans le sens des discours politiques racistes et policiers faisant un amalgame entre les noir.e.s et les dealers ? Comment vont-ils se justifier lorsque la couleur des gyrophares se fera voir ? Et si des personnes « enfreignent » l’interdiction d’entrer dans l’Usine, que feront-ielles ? Appeler la police ? Les sortir de force ?
« Soyons réaliste, en prenant cette décision, L’Usine collabore de fait avec la police et les autorités ! »
En s’en prenant à des personnes n’ayant d’autres choix que la rue en arrivant en Suisse – pays dans lequel ils sont arrivés, après avoir subi les conséquences directes d’un système économique et politique oppressif, raciste et violent auquel elle participe – L’Usine a choisi de s’inscrire dans cette même ligne dont elle se prétend être l’alternative. Cette décision est aveugle et injuste. Il s’agit d’une punition collective envers des personnes qui ne se conforment pas à une certaine norme d’utilisation de ce lieu basée sur des rapports marchands.
Soyons réaliste, en prenant cette décision, L’Usine collabore de fait avec la police et les autorités en empêchant ces personnes de se réfugier lorsqu’elles sont soumises à des contrôles souvent abusifs et violents. Elle fait preuve d’un déni de solidarité qui contrevient aux valeurs antiracistes et sociales affichées par l’association alors qu’elle participe à la perpétuation d’un racisme structurel. Cette pression vise implicitement à la mise en conformité de personnes n’ayant le plus souvent pas choisi cette activité, mais souvent forcées à le faire pour survivre faute de statut leur permettant d’autre choix, car provenant de pays auxquels la Suisse nie le droit à l’asile.
« Il n’y a pas si longtemps L’Usine se battait pour des lieux alternatifs et plus récemment pour le droit à la ville. Le droit à la ville pour qui ? »
Pour revenir sur l’argument comportemental, si les quelques altercations mentionnées dans la décision ne sont pas dues à la simple présence de ces personnes dans ces lieux, mais plutôt d’un comportement à un moment précis de la part de certaines personnes, est-ce une raison pour exclure tout un groupe sans discernement pour montrer l’exemple ?
Nous attendons de voir comment cette décision va être appliquée. Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps L’Usine se battait pour des lieux alternatifs et plus récemment pour le droit à la ville. Le droit à la ville pour qui ? Visiblement pas pour les personnes les moins privilégiées en terme d’espace public. Les personnes noires sont déjà confrontées aux violences policières, et risquent leur vie ainsi que leur intégrité physique chaque jour dans les rues de Genève. Et l’accès à des lieux festifs et alternatifs à quelle condition ? La consommation ? Encore oui, le lieu de fête et de culture dédie son accès aux consommateurs-trices, aussi précaire soit leur situation. Et parmis celleux-ci, certain-e-s le sont plus visibles que d’autres…
Le déclencheur de cette décision serait le cumul des éléments précités et nous savons qu’elle a pris place suite à une interaction physique entre une des personnes de la place et un membre du staff. Ok, mais où est le rapport avec toutes les autres personnes qui vont se voir interdire les lieux ?!
La mesure prise par L’Usine a pour effet direct une réelle ségrégation raciale, car elle ne peut-être appliquée autrement que sur des bases racistes, rappelant les délits de faciès en ciblant des personnes racisé.e.s, et précisément des hommes noirs. L’Usine essentialise et identifie les personnes qui traînent sur la place non comme des individualités avec leur propre rapport de pouvoir, mais comme un groupe homogène. Alors que ce qui les relie réellement c’est le manque de perspectives et d’alternatives à l’occupation de l’espace public comme ils le font.
En se comportant de la sorte, L’Usine valide et reproduit des rapports de pouvoir basés sur la classe et la race. Dans ce sens, de vraies questions méritent d’être posées : mais qu’en est-il des dealers blancs qui eux taffent bien au chaud à l’intérieur de ce même lieu ? Sont-ielles exempté·e·s parce qu’ielles consomment ? parce qu’ielles sont blanc·he·s ? Peut-être tout !
« La mesure prise a pour effet direct une réelle ségrégation raciale. »
L’Usine s’attaque à une activité économique (dont elle tire avantage) en faisant abstraction de la population visée. En plus de prendre cette décision, elle fait un appel populaire pour le maintien de l’ordre sur la base du volontariat. Comme l’État, elle marque le coup en faisant des punis à titre d’exemple, en infantilisant et en tapant sur les doigts de la même population avec son armée de réserve et malheureusement, elle en est pas à son coup d’essai.
Pour finir, rappelons que les dealers et l’Usine ont les mêmes client·e·s et qu’à défaut de prendre en compte la précarité de leurs situations il a été choisi de prendre la voie de la répression plutôt que celle de la collaboration.
En 2010, nous avons soutenu L’Usine dans son combat pour une vie nocturne, en 2012 et 2015 aussi.
À force nous sommes fatigué·e·s de ce lieu que nous avons vécu, aimé, soutenu et construit pour certain·e·s d’entre nous et désillusionné·e·s par cet espace qui tend à devenir une boîte de nuit n’ayant que la patine de ce qu’elle a pu représenter.
Tout le monde déteste la police et ses sbires.