Ce texte a été écrit à l’occasion de la « Outrasse Party », qui s’est tenue au théâtre de l’Usine à Genève en avril 2018, il s’agissait d’une soirée de soutien à la lutte antiraciste queer et féministe et plus directement au collectif Queerasse et au groupe Outrasse. Lors de cette soirée, des illustrations de situations d’oppressions à l’intersection du racisme et d’autres oppressions systémiques ont été exposées. Sous les illustrations nous avons affiché le texte qui suit. De très légères modifications ont été apportées pour en faciliter la lecture.
Les situations illustrées ici ne sont pas inventées. Elles sont réellement arrivées par ici, en Suisse romande et pour la plupart dans des milieux militants, des réunions, des lieux de fêtes. Elles ont été tristement faciles à récolter et nous en avons choisi quelques unes afin d’illustrer le racisme quotidien et/ou systémique.
On sait que les efforts particuliers ne vont pas supprimer le racisme, car il s’agit d’un système institutionnalisé qui oppresse des catégories de personnes différentes qui ont pour seul point commun de ne pas partager le privilège de la blancheur. On sait que le racisme, bien que structurel, traverse les individus et habite les discours, les actes et les imaginaires. On sait que pour faire tomber ce système il faudra s’organiser collectivement, les premier·ère·x·s concerné·e·x·s en tête, il faudra lutter pour arracher des droits et révolutionner les imaginaires. Cependant, on peut au niveau individuel et à l’échelle d’un groupe prendre acte des manifestations du racisme et s’engager à ne pas renforcer cette logique destructrice, déshumanisante et stigmatisante. On peut agir individuellement en se renseignant sur les biais racistes qui nous habitent, les affronter et, dans la mesure du possible, les éliminer de nos quotidiens. C’est ça la posture d’allié·e·x, prendre sur soi pour ne pas être le véhicule d’actes et/ou de propos qui renforce le système raciste en place.
C’est pourquoi, sans pouvoir éradiquer le racisme, dans les situations que tu peux maîtriser, il est préférable d’adopter certains réflexes antiracistes pour ne pas être complice de ce système.
Pour devenir un·e allié·e·x et réévaluer la façon dont tu interagis avec tes camarades racisé·e·x·s, tu trouveras ci-dessous une petite liste des trucs à faire si par hasard tu te reconnais dans les situations décrites en images, où si t’as l’impression d’avoir fait des trucs similaires ou juste si tu veux t’informer et faire passer le mot.
Excuse toi si t’as merdé
Lorsqu’on marche sur le pied de quelqu’un on demande pardon, c’est presque un réflexe. Alors lorsqu’on piétine la dignité de quelqu’un pourquoi cela semble-t-il si difficile? Dit comme ça, ça semble simple et limpide et pourtant, c’est tellement rare d’entendre des excuses dans ces cas-là. Or, ce n’est pas la mer à boire, l’erreur est humaine. S’excuser véritablement tient en deux points: admettre qu’on a foiré et prendre la responsabilité de ses actes. C’est à dire, reconnaître le comportement oppressif et/ou blessant, le regretter sincèrement et s’engager à ne pas recommencer. Pas besoin d’en faire des caisses non plus, la personne que tu as initialement blessée ne doit pas se retrouver à porter le poids de ta culpabilité et accomplir du travail émotionnel pour te réconforter.
Si par contre tu recommences alors qu’on t’as déjà signifié que c’était pas ok, ça signifie que tu assumes de ne pas te remettre en question. Dans ce cas, non seulement saches que tu n’es pas un.e allié·e·x de la lutte anti-raciste, mais tu seras invité·e·x à quitter les lieux car tu représentes un danger pour l’intégrité morale, émotionnelle et/ou physique de tes hôtes. (En d’autres termes, si tu captes pas, t’es pas lae bienvenu·e·x ici)
Évite les larmes de blanc·he (ou « white tears » en anglais) devant les personnes racisé.e.x.s.
Lorsqu’on te dit : »ce que t’as dit et/ou fait est raciste » ben ça veut dire que ton comportement à ce moment là était pas ok. Ça veut pas dire que t’es lae pire des raciste du monde, juste que ton comportement à ce moment là était raciste. Les whites tears, ou larmes blanches, est un terme qui sert à définir un comportement hyper commun lorsque des personnes sont confrontées à leurs attitudes racistes : être sur la défensive, s’indigner de l’« accusation », exprimer à quel point on a été blessé·e·x et reporter sur la victime de son propre racisme la responsabilité de la peine qu’on éprouve. Bref, en tant que blanc·he·x, c’est de mettre ses propres émotions, ressentis, vécus de personnes dominante au centre de la conversation, là où ça n’est jamais leur place lorsqu’on parle de racisme. Donc ici, lorsqu’on dit qu’il ne faut pas faire de larmes, il s’agit de ne pas ramener ce qui s’est passé à ton égo, à ta fragilité blanche. Oui c’est moche de se rendre compte qu’on peut être raciste, même sans le vouloir. Cette prise de conscience t’appartient, les personnes racisé·e·x·s le vivent au quotidien, tu n’as pas besoin de chercher leur approbation à tout prix ou leur validation sur tes faits et gestes. Saches que prendre soin de l’égo meurtri des blanc·he·s peut être tout aussi épuisant que de lutter contre le racisme, alors ne participe pas à cela et garde tes états d’âme pour toi.
Aussi, le fait d’être racisé·e·x n’a jamais empêché personne d’être raciste. Ce qu’on appelle racisme intériorisé, racisme intra ou inter communautaire décrit les comportements racistes qu’ont les personnes racisé·e·x·s envers d’autres personne racisé·e·x·s (et non, on parle pas de racisme anti-blanc). La différence c’est que le racisme est un système qui quand tu es blanc·he·x, te permet de légitimer et maintenir tes privilèges, alors que si tu es racisé·e·x, le perpétuer est contre-productif puisque c’est contre toi-même que tu exerces la violence au travers d’attitudes racistes.
Évite de jouer la carte de « ma copine est noire », « mes enfants sont métisses » (terme raciste au demeurant) ou « moi aussi je suis racisé.e.x »
On le répète, on est toustes empreint.e.x.s de racisme, avoir des personnes racisé·e·x·s dans son entourage, dans sa famille, ou être soi-même racisé·e·x·s ne nous transforme pas en un être surhumain incapable d’avoir des comportements racistes. Comme le fait d’avoir une mère ou une soeur ne fait pas automatiquement de vous quelqu’un incapable d’avoir des comportements sexistes, et on pourrait continuer les analogies à l’infini. Alors évite de tomber dans le cliché de la personne outrée d’être remise à sa place lorsqu’elle fait/dit quelque chose de raciste, sous prétexte que tu as un lien avec des personnes racisé·e·x·s ou que tu es toi-même concerné·e·x. Le racisme, on le rappelle, est un système d’oppression dans lequel on baigne, on a toustes appris des comportements racistes, s’en défaire n’est pas aisé, mais l’ignorer est pire.
Si t’es blanc.he.x
Ton attitude en soirée va déterminer si tu es un·e allié·e·x de qualité ou en carton, ou si tu fais carrément partie des relou·e·x·s. En tant que blanc·he ta simple présence signifie quelque chose dans l’espace. Ton corps, ta parole, ton regard existent avant tes actes, alors il t’appartient de te rendre compte de la place que tu occupes et de ce que ça impose aux autres, notamment aux personnes racisé·e·x·s et/ou queer.
Lorsque tu rencontres une nouvelle personne, évite les remarques et questions sur son apparence et/ou ses origines. Ta curiosité est mal placée et personne ne te doit rien. De même, abstiens toi absolument de toucher une partie du corps de l’autre (par exemple les cheveux). C’est hautement intrusif et irrespectueux de toucher quelqu’un pour assouvir sa curiosité personnelle, même si on demande d’abord. Les personnes racisé·e·x·s sont fatigué·e·x·s de devoir gérer les paroles et les gestes d’appropriation de leur corps par les blanc.he.x.s. C’est une habitude coloniale qu’il faut impérativement éliminer de nos pratiques. De même pour les personnes cis, ne chercher pas à « cerner » les corps des personnes queer. Un regard alangui et insistant est parfois tout autant intrusif/désagréable/violent qu’une main baladeuse.
Aussi, en tant que blanc.he.x, tu disposes du privilège de la visibilité. C’est-à-dire que ta parole et tes actes sont plus écoutés et pris au sérieux, dans l’espace public, que ce que pourraient dire ou faire des personnes racisé·e·x·s. Afin de contrebalancer cela tu peux « checker » ce privilège et prendre moins de place dans l’espace, dans les conversations et/ou émotionnellement. Par exemple, si t’es à l’aise pour parler en public, que tu as déjà beaucoup parlé durant un débat ou une conversation avec des personnes racisé·e·x·s prends en conscience et retiens-toi. Exerce tes capacités d’écoute, ton empathie et laisse toi guider dans la conversation plutôt que de monopoliser l’espace sonore. De même, n’impose pas ton point de vue à tout va. Et surtout, ne coupe pas la parole d’une personne concernée par la discussion en cours et/ou ne répète pas ce qu’elle vient de dire pour ton propre compte.
Dans des événements organisés par des personnes racisé·e·x·s ne te met pas en avant. S’il y a une tâche ou une activité pour laquelle tu as les mêmes compétences qu’une personne racisé·e·x·s, laisse lui le poste. Surtout si cette activité est valorisante. Au contraire, tu peux te proposer discrètement pour effectuer des tâches aidantes, comme te mettre à disposition pour les rangements.
S’il y a un.e film/documentaire/pièce de théâtre/conférence destiné aux personnes racisé·e·x·s, ne prend pas les places de devant automatiquement. Va plutôt t’installer dans les rangées de derrière. De plus, si t’as tendance à poser des questions, laisse la priorité aux personnes concernées, tu risques autrement de confisquer la parole et d’imposer ton « regard blanc » (« white gaze » en anglais) et orienter la discussion selon ton point de vue situé de personne ne vivant pas le racisme.
Sur la piste de danse, tu es invité·e·x à t’amuser, mais prend bien garde de ne pas le faire aux dépens des personnes racisé·e·x·s qui partagent le dance floor avec toi. Prend conscience de la place que tu occupes dans l’espace, surtout si tu es un homme cis. Aussi, n’imite pas des pas de danse qui ne font pas partie de ta culture et/ou que tu ne maîtrises pas juste par ce que c’est « cool » sur le moment (comme le twerk ou la « danse du ventre » par exemple). Lors d’un concert, laisse les premiers rangs aux personnes non blanches pour qu’elles puissent pleinement profiter de la soirée. N’essaie pas de choper/draguer quelqu’un seulement parce que tu lea trouves « exotique ». Les personnes non-blanches n’existent pas pour plaire à ton regard, n’emprisonne pas leur corps dans la cage de ton désir.
Bref juste prend moins de place, n’impose pas ton regard blanc sur les gens et ne t’approprie pas des gestuelles qui te dépassent.
Finalement, tu as donné un coup de main lors d’une soirée organisée par/pour les personnes racisé·e·x·s et ce sans piquer la place d’une personne racisé·e·x·s, c’est super. Mais ne cherche pas la reconnaissance à tout prix. Pendre moins de place, ben ça se voit pas forcément (he ouai). Laisser sa place, s’effacer, se mettre en arrière, c’est souvent un peu ingrat. Être un allié, « checker » ses privilèges c’est pas forcément faire quelque chose. Parfois c’est aussi ne pas faire pour que quelqu’un d’autre puisse le faire. C’est aussi être prêt·e·x à ne pas recevoir de remerciements, de reconnaissance, de félicitations. C’est pas évident de lâcher ses privilèges.
Enfin, pour être un·e·x allié·e·x tu peux soutenir financièrement les luttes antiracistes queer et féministes.
Dans la mesure de tes moyens, une contribution financière est toujours bienvenue. De plus, elle permet de valoriser le travail pédagogique qui est une partie importante, voir submergeante, de la vie militante et qui pèse la plupart du temps sur les personnes concernées par les oppressions en question. Le travail pédagogique n’est souvent pas perçu comme tel et on attend souvent des militant·e·x·s racisé·e·x·s et/ou queers qu’ielles fassent l’éducation des personnes cis blanches hétéro·a comme si ça allait de soi. Or, le travail pédagogique demande un investissement considérable en termes de temps, d’énergie et d’argent. Il faut trouver les bons mots, être convaincant·e·x et intelligible, chercher des références, imprimer des brochures, les distribuer, écrire des textes comme celui-ci, tenir têtes à des gens·tes, expliquer et réexpliquer les mêmes choses…etc. C’est pour ça que c’est important de reconnaître ce travail pour ce qu’il est, et une bonne façon de le faire c’est en donnant des thunes à nos collectifs pour pouvoir organiser nos luttes et faire des choses chouettes en dehors de la pédagogie.
Outrage Collectif
*Ecrit en avril 2018, modifié en octobre 2018